Comment ne pas perdre la carte en traversant les Amériques à vélo

Comment ne pas perdre la carte en traversant les Amériques à vélo

6 minutes
Grand passionné de vélo depuis son jeune âge, Philippe Robin a entrepris le défi de traverser les Amériques à vélo. En 2018, il a rejoint l’équipe La Cordée pour partager son amour du vélo. En chemin, il a pu parfaire ses connaissances, ce qui l’a grandement préparé pour sa nouvelle aventure. À travers une série d’articles, suivez les hauts et les bas de sa traversée du continent.
Philippe Robin
Il y a maintenant plus de 8 mois que j'ai quitté mon appartement sur le Plateau Mont-Royal avec comme objectif : me rendre en Patagonie à vélo. Je rêvais de traverser les Amériques, propulsé par la seule force de mes jambes en allant à la rencontre des humains et des cultures qui habitent le Nouveau Monde. Depuis le 10 juin 2023, j'ai déjà parcouru plus de 15 000 kilomètres.
 
Un tel périple contient autant de défis physiques que de défis psychologiques. Plusieurs obstacles se dressent entre tout cyclovoyageur et son objectif; la soif, la faim, l'inconfort, mais surtout, la solitude. Seul face au défi colossal que représente cette épopée, seul face aux inévitables imprévus et seul face à soi-même. Lorsqu'on pédale sur une route isolée dans un pays étranger, rien ni personne ne peut nous protéger de nos propres pensées.

Au cours des derniers mois, j'ai passé de bons et de moins bons moments en selle. Ces longues heures de pédalage seul et loin de tout ce que je connais me donnent tout le temps du monde pour me perdre dans mes pensées. Plusieurs émotions peuvent faire surface alors que je suis sans défense face aux aléas de ma conscience.
cyclotourisme
Parfois de beaux souvenirs refont surface et je me surprends à sourire ou même à rire seul. Je ne peux m'empêcher de profiter pleinement de ces moments quand ils passent, car je sais qu'ils ne dureront pas. D’autres fois, le doute, l'ennui, le regret et la peur font aussi partie de mon quotidien, et ce, depuis le début du voyage.

Le doute

Je doute régulièrement de ma capacité à réussir à atteindre l'objectif que je me suis fixé. Je doute même régulièrement de ma capacité à atteindre la prochaine ville ou simplement à atteindre le sommet de la prochaine côte. Le doute occupe une grande place dans mon esprit, mais je suis convaincu que si je ne doutais pas de moi, je ne ferais pas les efforts nécessaires pour réaliser mon rêve. Le doute est essentiel à la réussite de tous projets d'envergure. Sans lui, il serait impossible de voir venir les défis et les obstacles qui vont inévitablement se dresser entre un cyclovoyageur et sa destination. J'espère ne jamais arrêter de douter, car c'est cette constante remise en question qui me permet de m'améliorer en tant que cycliste et en tant qu'être humain.
paysage bikepacking

L'ennui

Il est difficile de quitter tous ceux qu'on connaît durant de longs mois sans s'ennuyer d'eux. Que ce soit ma famille, mes amis ou mon amoureuse, mes proches occupent constamment mes pensées. Je m'ennuie de leur présence, de leur rire et de leur soutien. Je m'ennuie de pouvoir passer du temps avec des gens qui me connaissent et que je connais en profondeur. Sur la route, les rencontres sont nombreuses. Toutefois, il est rare que ces échanges dépassent les salutations courtoises et les questions répétitives sur mon trajet, mon vélo et ma santé mentale.

Le regret

Il m'arrive parfois, quoique très rarement, de regretter ma décision de partir. Ce voyage entraîne des répercussions sur ma vie entière. Ma carrière, ma santé et mes relations sont toutes affectées par ce choix égoïste que j'ai fait. J'ai peur de perdre des êtres chers à cause de mon absence prolongée. Je ne pensais qu'à moi-même au moment de partir. Je ne peux pas tenir pour acquis que mes amis et ma copine m'aimeront autant à mon retour. Pour eux, la vie continue en mon absence et je peux comprendre la possibilité qu'ils m'oublient durant ces 18 mois où je serai loin d'eux.
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La peur

J'ai eu peur de mille et une choses au cours des 15 000 derniers kilomètres. J'ai eu peur des animaux sauvages comme les grizzlys, les pumas, les serpents à sonnettes ou même les scorpions. J'ai eu peur que quelqu'un vienne m'attaquer la nuit pendant que je dors seul dans ma tente. Cependant, la chose dont j'ai le plus peur, c'est de perdre la carte. J'ai peur de perdre de vue le sens de ce voyage et d'oublier les raisons qui m'ont motivé et qui me motivent toujours à pédaler sans relâche. J'ai peur que le brouillard de la solitude me fasse perdre mes repères au point de ne plus savoir pourquoi je fais ce que je fais.
 
Pour l'instant, la plus grande leçon que je tire de mon voyage est que rien n'est éternel. Chaque événement, chaque phase et chaque situation a un début, un milieu et une fin. Tout est éphémère. Que ce soit la pluie et le beau temps, la tristesse et le bonheur ou même la détresse et le confort; tout n'est que temporaire. C'est en acceptant que chaque chose est éphémère que j'arrive à relativiser chaque situation. C'est d'ailleurs cet état de constants changements qui fait de la vie de nomade ce qu'elle est.

Je fais face à énormément d'incertitudes durant ce voyage, mais il y a une chose dont je suis certain. C'est que si je ne me rends pas en Patagonie à vélo, je le regretterai toute ma vie. Cette certitude est la seule constance qui me suit partout où je vais.

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